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Thursday, April 5 2018Odessa, une histoire d'amour française...La plus belle ville slave de la mer Noire a été enfantée, voici deux siècles, par un royaliste libéral français.
Dans l’éloge de la langue française qu’il prononce le 20 mars devant les Immortels du Quai Conti, Emmanuel Macron cite l’écrivain russe Isaac Babel parmi les nombreux auteurs étrangers que le français inspira : « Je me souviens aussi d’Isaac Babel se rappelant de ses cours de français à Odessa et de sa passion pour Flaubert et Maupassant. Rien ne devait le conduire à aimer à ce point furieusement Flaubert et Maupassant s’il n’y avait eu un enseignant breton au lycée d’Odessa. ‘Il était Breton et avait le don de la littérature comme tous les Français’, disait Babel. »
Pourquoi Babel plutôt qu’un autre, surtout dans ces « Russies » où le français avait été, depuis le XVIIIe siècle, la langue de l’aristocratie, avant de devenir au milieu du XIXe siècle celle de l’ « intelligentsia » ? Peut-être en raison d’Odessa, cette ville mentionnée à deux reprises en cinq lignes. Elle fut en effet un peu plus marquée encore par la France que les autres cités de l’Empire.
C’est en 1792 que la Russie complète la conquête de la côte septentrionale de la mer Noire, longtemps possession ottomane. Dès 1700, Pierre le Grand s’était assuré un débouché sur la mer d’Azov, mais il avait du l’abandonner en 1711. Dans son Testament secret, il avait prescrit à ses successeurs de reprendre la marche vers les mers chaudes et de « se rapprocher le plus possible de Constantinople et des Indes ». Catherine II sera l’exécutrice de ces volontés. Une première guerre russo-turque, de 1768 à 1774, lui livre la Crimée, « protectorat » vite annexé, ainsi que la Tauride et la Chersonide, l’actuelle Ukraine méridionale. Une seconde guerre, de 1787 à 1792, lui apporte également les territoires situés entre l’embouchure du Boug et celle du Dniestr.
L’impératrice entend arrimer ces terres, rebaptisés « Nouvelle Russie », à ses Etats. Elles sont alors presque vides, mais les lettrés savent qu’elles avaient été, dans l’Antiquité, le grenier à blé de la Grèce. Catherine II y crée des villes, des ports, cherche à fixer des colons. Son impatience est telle, à cet égard, que son ministre Potemkine n’hésite pas, quand elle visite la région, à faire passer son carrosse devant une succession de décors de théâtre : les « villages Potemkine », comme on dira bientôt. Un procédé dont les bolcheviks, après 1917, s’inspireront pour leur propre propagande…
Un premier port, Kherson, a été fondé en 1778, suivi de Maripol et de Nikolaïev. Mais aucun d’entre eux ne donne réellement sur la haute mer. En 1794, l’amiral José de Ribas, un aventurier hispano-italien, convainc Catherine II de créer la « porte océane » de l’Empire à Hadjibey, un site dont il s’est emparé, à la tête de quelques grenadiers, cinq ans plus tôt : une large baie où peuvent accoster des navires de gros tonnage, dominée par une corniche où l’on peut ériger une ville, une forteresse. Catherine acquiesce : Hadjibey devient Odessa.
De Ribas entreprend les travaux, secondé par un architecte hollandais, Franz de Volland : « De Ribas jetait des idées sur le papier, Volland les mettait d’applomb ». La ville est dotée d’un plan en damier. Une jetée transforme la baie en rade, et protège les navires de tout danger.
En 1796, tout s’interrompt. Catherine II vient de mourir. Son fils, le tsar Paul Ier, la haïssait. Il ne veut plus entendre parler de la mer Noire. De Ribas et Volland sont renvoyés, les chantiers laissés en plan. Mais en 1801, Paul est assassiné, et remplacé par son fils Alexandre Ier – qui reprend immédiatement les projets de sa grand’mère et confie Odessa au duc Armand-Emmanuel de Richelieu, lointain descendant du cardinal et petit-fils du maréchal Louis de Richelieu, l’un des grands généraux de Louis XV.
Armand-Emmanuel de Richelieu est alors âgé de trente-sept ans. Eduqué à la perfection, pieux sans être bigot, épris de liberté mais rebuté par 1789 (« Le fanatisme dénature le caractère national français », observe-t-il alors), il a émigré dès 1790, et s’est mis au service de la Russie. Il a participé à la prise d’Ismaïl, le verrou turc du Danube, approché Catherine II, couru de Mitau, où Louis XVIII est exilé, à Vienne, foyer d’obscures missions diplomatiques, tenté de rentrer en France après le 18 brumaire, mais été effrayé par la « tyrannie mathématique » , suite naturelle de la Révolution, que met en place Bonaparte. Revenu en Russie sans le sou, Odessa est sa dernière chance.
Le tsar lui a donné les pleins pouvoirs. Richelieu fonde, sous cet auguste patronage, une sorte de république libérale et vertueuse : pied de nez à la France jacobine, revanche de Montesquieu sur Rousseau. Sujets russes ou étrangers, tous sont bienvenus. Liberté religieuse. Liberté d’entreprendre. Peu d’impôts. Justice exacte, impartiale, rapide. Ni prébendes, ni pots de vins.
Le port est agrandi, consolidé. La ville est divisée en parcelles égales, cédées gratuitement sous réserve de bâtir. Une caisse publique avance les fonds nécessaires, au taux de 6 % seulement. Les architectes doivent suivre un modèle préétabli, sur deux étages. La plantation d’arbres, devant ou derrière les maisons, n’est pas moins obligatoire : ce qui fixe les sols et assainit l’air. Pour couronner le tout, des écoles, dans toutes les langues, et un splendide opéra, qui joue évidemment en italien.
L’expérience réusit. La population passe de quatre mille habitants en 1803 à trente-cinq mille en 1814, en dépit d’une peste en 1812. Les revenus, de 2 millions de roubles à 25. Louis XVIII restauré, Richelieu rentre en France. Il y passe pour « un Robinson nauffragé chez les Tartares », mais sera bientôt premier ministre. Il a été remplacé, à Odessa, par un autre Français : son ami et assistant de toujours, le comte Louis-Alexandre de Langeron, qui fait accorder à la ville un statut de port franc.
En fait, la Nouvelle-Russie, comme toute l’Europe, regorge de Français : effet d’un trop-plein démographique d’un pays qui, avec trente millions d’habitants, surclasse encore tous ses voisins, mais aussi des émigrations politiques. Armand-Emmnuel Saint-Priest, fils d’un ambassadeur à Constantinople, préside le tribunal ; Charles Sicard, Marseillais, dirige la quarantaine maritime puis fonde des messageries ; Jacques de la Fère, ancien président du parlement de Rouen, gère les domaines agricoles de la Couronne ; Léon de Rochechouart dirige l’administration. Sans parler des petites gens, comme ce Peltier, soldat de la Grande Armée qui survit à la débâcle de 1812, épouse une Ukrainienne mais conserve la nationalité française, et dont le petit-fils François-Louis, devient un médecin de renom…
A partir de 1823, Odessa aura pour gouverneurs de grands seigneurs russes, qui ont à cœur de poursuivre dans la même voie libérale que Richelieu et Langeron : le prince Mikhaïl Vorontsov, fils d’un ambassadeur à Londres et d’une comtesse anglaise, puis le comte Alexandre Stroganov, gendre du tsar Nicolas Ier et beau-père d’Alexandre II. Odessa devient le principal port de commerce de l’Empire, son troisième centre culturel - Alexandre Pouchkine et Anton Tchékhov y séjournent - , sa capitale scientifique et technologique. C’est peut-être là qu’un certain Iossif Timoshenko invente le cinéma en 1893, devançant d’un an les frères Lumière ; c’est là qu’on produit les premières automobiles russes, et les premiers avions. La population atteint 140 000 habitants en 1869, 300 000 en 1889, 630 000 en 1914.
Si la colonie française est, proportionnellement, moins importante qu’autrefois, elle reste influente. Les premiers journaux d’Odessa sont écrits en français : Le Messager de Russie ou Feuille commerciale, Le Troubadour d’Odessa, Le Journal d’Odessa. Ce n’est qu’un demi-siècle plus tard qu’apparaissent les quotidiens en langue russe. Français aussi, le Lycée, établi en 1818, auquel Richelieu, de Paris, lègue sa bibliothèque personnelle : trente mille volumes. Cet établissement forme toutes les élites locales jusqu’en 1914. Babel, comme Macron l’a rappelé, y étudie et y découvre le secret du style « que nul ne peut percer sans avoir soumis son esprit à la discipline des auteurs français : couper sans cesse les mots, les adjectifs et les paragraphes. »
Paralysée par le communisme, dévastée par la Seconde Guerre mondiale, Odessa redevient un port franc après l’indépendance ukrainienne, en 1992. Mais aussi une destination touristique (vols directs Paris-Odessa). Les vieux quartiers du début du XIXe siècle ont été magnifiquement restaurés : au milieu d’une place néo-classique en demi-lune, la statue d’un duc de Richelieu costumé en proconsul romain fait face à la mer. Elle est devenu le symbole même de la ville qu’il a pour ainsi dire enfantée.
© Michel Gurfinkiel & Valeurs Actuelles, 2018
Membre du Comité éditorial de Valeurs Actuelles, Michel Gurfinkiel est le fondateur et président de l’Institut Jean-Jacques Rousseau (Paris), et Shillman/Ginsburg Fellow au Middle East Forum (Philadelphie).
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